Sans Détour

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Le MUJAO a frappé le Burkina

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Comme il fallait s’y attendre !

On se doute bien, que les djihadistes du Nord Mali, frapperaient le Burkina. Depuis le 31 octobre, avec le départ du pouvoir de Blaise Compaoré, celui qui les choyait, le territoire burkinabè n’était plus un sanctuaire. Quelle forme cette frappe allait revêtir ? Punition ou moyen de pression ?

 La chute de Blaise Compaoré a été très rapide. Moins de 48 heures. Il est possible que la fulgurance ait pris tout le monde de court. Y compris certains soutiens, qui, on s’en doute, s’ils avaient eu le temps de recouvrer leurs esprits, auraient tout mis en œuvre pour sauver le soldat Blaise Compaoré. Le protecteur trop sûr de lui, n’avait pas jugé bon mettre les unités supplétives en alerte. Il est parti sans demander son reste et la fourmilière a dû se disperser. C’est le cas par exemple d’un Mustapha Chaafi, qui a obtenu d’être exfiltré par les hommes de Zida pour rejoindre Abidjan. Les principaux chefs des mouvements rebelles et djihadistes ont déménagés en catimini et ont replié sur Niamey. Mais les hommes ne sont pas tous partis. Il a fallu se réadapter à la nouvelle donne. Jusqu’aux premiers couacs entre Zida et le RSP, en fin décembre 2014, ces groupes pensaient ne pas avoir des raisons de se préoccuper. La donne a changé du tout au tout, quand il est devenu évident que Gilbert et le RSP ont presque perdu la main. Jusque là sur le terrain, les chefs des groupes rebelles et djihadistes avaient eu des liens privilégiés avec les officiers du RSP. C’est le régiment de sécurité présidentielle qui a eu pour l’essentiel la mission de quadriller cette partie du territoire qui fait frontière avec le Mali. Ce n’est pas un hasard, si Gilbert Diendéré a été le premier à localiser les restes de l’avion d’Air Algérie qui a crashé dans le village malien de Gossi, alors que le Burkina, ne dispose pas à ce que l’on sache, d’un satellite. Depuis janvier 2015, après un moment d’observation, les groupes rebelles et djihadistes ont rompu le pacte de non agression avec le Burkina.

 Le MUJAO mis à l’indexe,

Le Mouvement pour l’unicité du Djihad en Afrique de l’ouest (MUJAO), ce groupe crée par les dissidents mauritaniens de AQMI, qui ne supportaient plus l’hégémonie des Algériens sur l’ensemble du mouvement, est indexé dans la prise d’otage, dans le village de Kouna, non loin du site de Tambao, en ce matin du 4 avril aux environ de 9 heure. Sur un pick up Toyata, les cinq assaillants ont enlevé un roumain, de nationalité française et responsable de la sécurité, travaillant, pour Pan African, propriété de Timis, qui avait eu la concession de Tambao, dans des conditions douteuses en juillet 2012, blessé deux autres personnes, dont un gendarme qui était dans un état critique.

Depuis le mois de mars, les éléments du groupe MUJAO se signalaient par des rapts, des enlèvements et des séquestrations. Dans le camp des réfugiés de DIBISSI, les éléments du MUJAO avaient enlevé et rançonné deux refugiés. Sur intervention d’un des responsables du mouvement, les personnes enlevées avaient été relâchées et leur biens restitués.

Quelques jours auparavant, aux environs du forage Christine, nos sources situent l’incident à environ 12 à 15 km du forage, les éléments du MUJAO avaient été aperçus en pleine manœuvre. En vérité ces gens du Mujao ne se cachent même pas dit-on, agissant à leur guise et aux sus de tous. Ce groupe islamiste composé aussi de certains légionnaires originaires de Boko Haram, a été les bourreaux du MNLA à Gao. C’est lui qui a décapité le mouvement touareg en son temps. Le Burkina avait dû intervenir pour sauver certains chefs MNLA blessés. Depuis le MUJAO a régné sur Gao, jusqu’à l’intervention française de Serval. S’il a perdu son fief, le gros des troupes du mouvement s’est replié, avec l’accord de Ouagadougou, autour des camps de Dibissi, Tin Hedja, Deou et Gountouré Gnégné. Ils se sont repliés dans cette partie du Burkina et ont continué d’effectuer les trafics de toutes sortes avec certains barons de la zone, comme Weidili, notoirement connu, pour avoir toujours eu ses entrées à Kosyam. Weidili dispose de vastes entrepôts à Markoye. Des entrepôts qui accueillent toutes sortes de contrebandes. Certaines sources ont pu affirmer que les camions de Weidili, en provenance de Lomé, au Togo, étaient escortés, dans un premier temps, par les militaires togolais, jusqu'à Cinkansé et pris en charge par les militaires du RSP pour traverser le Burkina. C’est dire la force du réseau de ce parrain local. En tout cas Weidili est un homme puissant et riche dans cette partie du Burkina. Il avait été jusque là le financier principal de Diamdioda. Il semble que depuis peu, il a changé de bord, pour s’affilier aux nouveaux hommes forts du pays. Il a une de ses résidences à Dori et aime passer ses journées avec les acteurs de la justice à manger le mouton et à siroter le thé.

Un enlèvement coup de semonce !             

 Il faut dire que les choses évoluent aussi très vite dans ces milieux. Il n’est pas exclu que les récentes scissions au sein de AQMI aient eu des répercussions au sein du MUJAO. la proclamation de l’Etat islamique par Abou Bakr al-Baghdadi ( 29 juin 2014 depuis la grande mosquée de Mossoul en Irak), est en train de reconfigurer le mouvement djihadiste international. Au sein de AQMI, une scission en septembre 2014, a eu lieu, donnant naissance au Jund el-Khalifa ( les soldats du khalifa). A la même période, le chef de Boko Haran prêtait allégeance à Baghdadi. Cette évolution peut avoir des répercussions au sein du MUJAO qui avait l’habitude de se fournir en combattants auprès de Boko haram. Et puis, il n’y a pas si longtemps, quand le groupe nigerian a commencé à être pris en tenaille par les armées nigérienne et tchadienne des refugiés en provenance du Nigeria ont afflué à Dori. On doit du reste craindre que les « débris » de Boko Haram  explosé par les armées nigérienne et tchadienne, ne viennent essaimer dans les contrées nord du pays, en ralliant le MUJAO.

Une situation qui pourrait radicaliser un Mujao déjà acquis aux méthodes de l’EI à qui on pense qu’il pourrait faire allégeance pour se défaire définitivement de la tutelle de AQMI ou de ce qui en reste. Cet afflue de combattants aguerris aux méthodes radicales conjugué à un changement d’obédience, une allégeance à l’Etat islamique, dans le sillage de Jund-El Kahlifat peut changer la donne sur le terrain. Même si de façon ordinaire, les groupes restent autonomes et libres de contacter des alliances localement.

L’enlèvement de Kouna, non loin de la mine de Tambao, ce 4 avril, aurait autrement une signification plus complexe à déchiffrer. Le roumain enlevé, même si on dit qu’il a acquis la nationalité française, n’est pas à proprement parler, une bonne monnaie d’échange. Et puis curieuse chose, il est un employé de l’ami d’un ami. En effet, Blaise est l’ami des djihadistes du MUJAO par les facilités qu’il leur accordait quand il était au pouvoir. Et Timis est l’ami de Blaise. Même si nous sommes dans des configurations « asymétriques », sauf erreur ou changement d’alliance, on évite ce que les militaires appellent les « freinds fire » (les tirs amis). Parce que ce serait parfaitement le cas si le MUJAO s’en prenait aux amis de Blaise.

Sauf à considérer que c’est un coup de semonce. Un enlèvement pour envoyer un message aux autorités de la transition soit en raison des évolutions politiques qui menacent les intérêts du grand allié Blaise Compaoré ou pour protester contre des mesures locales qui contrarient des intérêts économiques. A ce propos on pense à la décision récente du gouvernement de la transition de retirer l’agrément de l’exploitation de Tambao à Pan African. Cela enverrait un message au gouvernement qui pourrait être ainsi libellé : « si vous retirez l’agrément à Pan African, personne d’autre n’aura la tranquillité et la quiétude pour exploiter la mine ». De toute façon avec cette opération, peu d’investisseurs se risqueraient désormais à postuler pour Tambao. On ne pouvait pas donc faire plus mauvaise publicité pour Tambao.

Une suite de choix erronés,

Il est possible aussi que cet enlèvement soit une réponse à l’évolution du traitement du dossier touareg, par le gouvernement de la transition. Nous avions écrit dans ces mêmes colonnes, que si le Burkina avait fini par reprendre sa place à Alger, dans les négociations inter-maliennes, il ne l’avait pas fait de la meilleure manière qu’il soit. Celle qui avait été choisie pour représenter le pays connaissait peu de chose du dossier. Toute chose qui mettait le Burkina à la touche et fragilisait la cause des touaregs qui avaient jusque là, en le Burkina Faso, un soutien de taille. Il s’en est suivi un effritement de l’importance de notre pays, dans la conduite et la gestion de ce dossier. Les touaregs et les djihadistes de tout poil concluent en un abandon de Ouagadougou. Dès lors le Burkina n’est plus un allié. Son territoire n’a plus besoin d’être épargné. C’est pourquoi depuis fin janvier 2015, il y a eu plusieurs alertes d’attentats sur le sol Burkinabè. La dernière en date à été celle pendant le FESPACO. Cela indique clairement que les menaces ne sont pas seulement localisées au nord, même si le premier enlèvement a eu lieu dans cette partie du pays. Il faut considérer que le Burkina n’est plus épargné par les attentats djihadistes. On peut bien bomber le torse dans les rues de Ouagadougou, cette évolution n’est pas dans l’intérêt du Burkina. Il est possible que Blaise n’ait pas été exempte de tout reproche dans la conduite du dossier malien. Mais il avait réussi à prémunir le pays du risque djihadiste qu’il ne fallait surtout pas dilapider. Le gouvernement de la transition aurait pu maintenir cet acquis, même si, sa position pouvait évoluer dans le traitement global du dossier. Il fallait pour se faire, trouver le moyen de continuer le modus vivendi.

La dégradation sécuritaire dans le nord et même dans le pays, puisque personne ne connait l’ampleur des infiltrations dans le pays, aura des conséquences immédiates sur nous et notre économie. Il n’est pas exclu que dans les jours à venir, les ambassades occidentales à Ouagadougou commencent à édicter de nouvelles mesures sécuritaires en direction de leurs ressortissants et des éventuels investisseurs. La côte du Burkina sur le marché des investisseurs va rapidement dégringoler. Ce qui n’est pas du tout une bonne chose dans l’ambiance actuelle d’une économie qui se contracte. Les prévisions du FMI prévoyaient une baisse de 4 points de croissance pour 2015, avec une perspective négative pour 2016. C’était avant l’affaire de Tambao. Après cette affaire, c’est sûr que les prévisions ne vont pas s’améliorer. Sauf si le gouvernement fait preuve d’intelligence et de perspicacité.      

        

 

Encadré :

Une ruée vers le nord

Immédiatement après l’enlèvement du roumain, les renforts sont partis de Ouaga. Des avions ont survolé la zone toute la journée du 5 avril.

Les habitants de Dori ont vu passer plusieurs cargos militaires en direction de Gorom. Il semble que ce sont les militaires du RSP qui sont arrivés les premiers. Dans la journée du 5 avril, ils ont réinvesti tout le nord du pays. La journée du 6 a vu l’arrivée d’autres militaires, en tenue « terre du Burkina » ce qui fait dire qu’ils sont d’autres garnisons que le RSP. Des avions ont beaucoup survolé la zone. Très probablement nos avions mais aussi ceux de nos alliés français du COS et les américains qui sont à la base aérienne. Il faut rappeler que aussi bien la France que les américains, ils disposent de petites bases dans l’Oudalan. D’aucuns disent que ce sont des bases des drones. Les riverains ont souvent vu voler des avions semblables aux jouets d’enfants.

Depuis cette prise d’otage, les voisins se sont mobilisés. Les preneurs d’otages se seraient dirigés vers le Niger. Niamey a donc engagé d’importants moyens à ses frontières. Du côté malien, c’est aussi une grande mobilisation. Les troupes loyalistes appuyées par des mouvements touaregs favorables à Bamako, notamment les Imghad de GATIA, convergent vers les frontières burkinabè. Ce qui fait craindre des effets collatérales sur les pasteurs nomades peulhs et Tamacheks qui en cette période de l’année investissent la brousse autour du forage Christine. Ces nomades viennent des trois pays qui environnent la réserve.

Les méthodes djihadistes

Selon une source dans le camp de Dibissi, il est fort probable que les ravisseurs se fondent dans les populations locales. Ils ne vont pas tenter de sortir du territoire burkinabè avec l’otage. Si on exclu l’hypothèse d’un coup de semonce, parce que dans cette hypothèse, le rapt ne devrait pas aller loin, les ravisseurs vont attendre le bon moment pour céder l’otage à des groupes plus organisés. Sauf que la nationalité, d’origine, de l’otage ne lui donne pas forcément une bonne valeur marchande. Autrement, l’otage aurait été cédé soit aux mourabitounes ou aux responsables de la nouvelle katiba, ceux qui viennent de faire allégeance à l’EI, le Jund-El Khalifat.

On peut en même temps s’étonner de l’approche militaire de cette question par le gouvernement de Ouagadougou. Cette débauche et démonstration de force est presque inutile, en dehors de son effet psychologique sur les burkinabè. En effet, il s’agit d’une guerre asymétrique. Dans cette forme, il ne s’agit pas d’une confrontation. L’ennemi donne des coups et s’évapore dans la nature. La riposte appropriée serait sans doute sécuritaire. Sauf à supposer que la présente opération combine les deux. On sait par exemple que les unités du RSP sont justement formées pour ce type de théâtre. Il devrait y avoir sur le terrain un partage des rôles. Les troupes en « terre du Burkina » pour la dissuasion et le travail de fourmille aux éléments du RSP. Mais attention à ne pas dégarnir aussi les arrières. Et puis le plus emmerdant dans cette affaire, c’est que lorsque l’engrenage de ce type commence, il n’a plus de fin. Le Burkina a désormais une nouvelle préoccupation qui va le mobiliser pour longtemps. Cela va lui demander un effort supplémentaire en dotation budgétaire. Une vraie merde…    



11/04/2015
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