Sans Détour

Sans Détour

Gilbert Diéndéré

Que faut-il en faire ?

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Il est sans aucun doute, celui qui connait le mieux, le régime de Blaise Compaoré. Il a l’avantage de l’avoir connu sous deux prismes importants : le politique et le militaire. Aucun n’autre des proches de l’ancien régime n’a eu cet avantage.

J’ai eu Gilbert Diéndéré au téléphone, dans l’après-midi du 30 octobre, quand après avoir mis le feu à l’assemblée nationale, les jeunes qui faisaient mouvement vers Kosyam ont commencé à affronter les militaires du RSP avec les premiers morts. Je lui ai demandé s’il allait prendre le risque d’un « massacre » ? Il m’a répondu que tel n’était par leur intention et qu’ils avaient besoin de discuter avec les leaders du CFOP, dont le premier, Zéphirin Diabré était injoignable. Je lui ai répondu que si tel était leur vœu, je pouvais bien les mettre en contact. Il me fallait pour cela me déplacer au siège du chef de file de l’opposition où les leaders étaient réunis. Quand j’ai voulu le faire, un informateur m’a dissuadé de prendre une voie à cette heure, car certains extrémistes du camp de Blaise qui avaient embauché des mercenaires étaient à la recherche des têtes fortes de la contestation pour les liquider et que mon nom y figurait en bonne place. Cet informateur m’a même intimé l’ordre de couper mon Smartphone, d’enlever ma puce et de communiquer avec un téléphone ordinaire et un numéro inconnu. C’est ce que j’ai fait, comme beaucoup d’autres qui étaient sur cette liste noires et recherchés par les sbires de l’ancien régime. Je n’ai pas pu me rendre donc au siège du CFOP. J’ai essayé de joindre Zéphirin Diabré, au téléphone en vain. Gilbert Diéndéré m’a rappelé à plusieurs reprises pour voir si j’avais pu joindre Zéphirin Diabré. J’ai su après qu’une démarche semblable avait été entreprise par l’ambassadeur de France qui s’est déplacé au siège du CFOP et qui a rencontré Zéphirin à qui il a passé les messages de l’Elysée. Pour Paris, jusque dans la soirée du 30 octobre, « Blaise devait demeurer au pouvoir en renonçant à son projet de révision constitutionnelle ». C’est sans doute à l’aune de cette « directive française » qu’il faut lire le contenu « minimaliste des déclarations de Diabré» de la journée du 30 octobre. L’ambassadeur de France aussi, a certainement fait passer, le message de Gilbert Diéndéré à Zéphirin. Il est fort probable, que c’est nanti de ce soutien Elyséen que Blaise Compaoré a écrit et lu son message à la nation dans la nuit du 30 octobre. Message diffusé sur BF1 et Canal3. Sauf que ce message a eu le don d’exacerber la colère et de provoquer un début de remous dans la plupart des casernes et notamment au camp Guillaume où on avait vu des éléments commencer à fraterniser avec les jeunes insurgés. Pour tous ces jeunes militaires et une bonne partie de la hiérarchie, qui ont encore à l’esprit la répression de 2011, le rétablissement de Blaise signifiait leur arrêt de mort. Il en était de même pour les dirigeants du MPP, particulièrement.  

Dans la nuit du 30 octobre, le débat a été vif à Kosyam et Gilbert Diéndéré y a joué un rôle important, en prévenant que sauf à anticiper, les choses vont se dénouer « contre eux ». Cette position a fini par s’imposer et il semble que les américains, les premiers ont lâché Blaise. Les Français se sont ralliés après et avec le dispositif du COS, avec la collaboration de Gilbert Diéndéré, ils ont entrepris d’exfiltrer Blaise Compaoré du Burkina. Le plan initial c’était que Blaise rejoigne Po et que de là-bas il soit héliporté vers la Côte d’Ivoire. Le plan a été contrarié officiellement par les manifestants à Po qui ont barré les voies d’accès à la ville. Mais selon toute vraisemblance, le cortège a craint d’affronter des éléments radiés en 2011 et dont une bonne partie c’était regroupée à la frontière ghanéenne et se préparait à infiltrer le pays et perpétrer des sabotages, dans la perspective où le vote de la révision passerait à l’assemblée nationale. Autrement, le convoi, aurait pu par une voie détournée, longtemps aménagée, rejoindre le pied à terre du président à Po en évitant les manifestants. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais le pays était vraiment au bord de l’implosion.

Le lendemain 31 octobre, à 9 heure, j’ai encore eu Gilbert Diéndéré au téléphone. Il m’annonce « Que c’est bon, il (Blaise Compaoré) va démissionner.» La nouvelle me surprend et me laisse sans voix. J’ai quand même le réflexe de demander à quelle heure, il va faire cette annonce ? La question semble avoir surpris le général. Il me répond, « je ne sais pas, mais c’est décidé». A 11 heure, il m’appelle lui-même pour me dire que c’est fait, mais qu’il ne peut pas de là où il est m’envoyer le texte de la démission. Je pense qu’en ce moment, il se préparait à mettre le convoi de la fuite de Blaise en route. Ce convoi qui est sorti par l’arrière de  Kosyam, en traversant les champs aux alentours et à rejoint la route de Po vers l’ancien terrain de Golf en allant vers Kombissiri. C’est vers là bas que les populations ont aperçu le convoi impressionnant, dont certains ont eu le réflexe de filmer une partie. En regardant ce petit film, réalisé avec un téléphone portable, on entend du reste très distinctement les commentaires en fond sonore dirent en mooré « c’est Blaise, le voilà assis… ». Un auditeur est intervenu au même moment sur Radio Omega pour relater et décrire en direct cette fuite. Quand j’ai entendu le direct de Omega, j’ai appelé Gilbert Diéndéré qui a nié. Mais il me semble que lui-même n’a pas suivi le cortège. Il est resté pour organiser la protection du palais, pour éviter, qu’il ne subisse le sort du palais de l’assemblée nationale.

Que faire de Gilbert Diéndéré

Pour la grande majorité des Burkinabè, il est l’incarnation du côté lugubre du régime de Blaise Compaoré. Il en connait tous les secrets et à participer à toutes les basses besognes. Pour au moins trois faits majeurs de crime sous Blaise Compaoré, il ne saurait se débiner. Il s’agit de l’assassinat de Sankara, le soir du 15 octobre. Les témoignages attestent qu’il était sur place, même s’il n’a pas directement participé aux carnages. Il a été aussi un acteur majeur du complot contre Lingani et Henri Zongo qui ont été passé par les « armes après un jugement sommaire » et enfin, il doit en savoir des choses aussi sur l’assassinat du professeur Oumarou Clément Ouédraogo. Il semble cependant que pour l’affaire David Ouédraogo, il n’a pas été prévenu avant la commission des faits. Devant le tribunal, en août 1999, il a montré qu’il n’était pas au courant et s’il a demandé pardon au peuple, il a refusé d’assumer ces meurtres. Il est fort possible aussi que pour l’assassinat de Norbert Zongo, il a dû apprendre parallèlement, mais il n’a pas été associé. Il peut cependant aider à faire la lumière sur ce dossier.  

Il est par contre au cœur des dossiers sécuritaires du pays du Libéria au Mali, en passant par la Côte d’Ivoire. De ces aventures qui ont d’une certaine façon entachées l’image du Burkina et constituer le marqueur du régime Compaoré, le général Gilbert Diéndéré en garde des stigmates négatives et positives.

Négativement, essentiellement au niveau de la troupe, où toutes les rancœurs des soldats floués, beaucoup jamais payés des sommes promises, sont dirigées ou ont été dirigées contre lui. Il en est sorti avec la réputation d’un « Harpagon » qui amasse, mais qui ne donne rien à personne. En tout cas, on ne lui connait pas la prodigalité d’un Honoré Traoré ou d’un colonel Kiéré qui de ce fait ont su de tout temps s’attirer la sympathie de la troupe. Gilbert Diéndéré est de ce point vu, semblable à son cousin le général Dominique Diéndéré, un autre officier de grande valeur, mais qui avait une conception du commandement peu courante dans notre armée et qui de fait n’a jamais été populaire dans l’armée.

Positivement, ensuite parce qu’il a su développer une expertise rare en matière de maitrise des questions sécuritaires dans notre sous région qui en fait aujourd’hui une ressource rare dans le monde. De ce point de vue, il est un atout important pour notre pays, peu importe ce qu’on peut lui reprocher par ailleurs. Les Bambara ont ce proverbe qui devrait nous faire réfléchir à propos d’un compatriote comme Gilbert Diéndéré :  « quand on enfante un serpent, il faut savoir en faire une ceinture pour bien tenir son pantalon».

Gilbert demande à être utile…

 Au représentant de Macky Sall, le médiateur de la Cedeao dans la crise Burkinabè, qui lui a demandé quel rôle il entendait jouer dans la transition, Gilbert Diéndéré a répondu qu’il souhaitait être utile et se mettait au service des nouvelles autorités. Juste après, la démission et la fuite de Blaise Compaoré, selon des sources introduites, l’ambassadeur de France a organisé une entrevue entre Gilbert Diéndéré et Zéphirin Diabré. De quoi en a-t-il été question ? Probablement le diplomate français a-t-il fait passer un message en faveur du général. Il s’en est suivi que Diéndéré est sorti de Kosyam et a participé à l’investiture et à la passation de charge du président Michel Kafando. Quelque temps après, sans doute pour faire droit à la pression populaire, mais aussi pour mettre Zida à l’aise, le nouveau président a limogé le général de son poste de chef d’état major particulier de la présidence. Pour quelle destination ? On ne sait pas d’abord. On peut cependant dire que le fait qu’il a eu le droit de dire au revoir, dans une cérémonie militaire bien organisée au RSP, signifie qu’il n’a pas été congédié.

A propos de Gilbert Diéndéré, les avis sont tranchés et certains ne veulent même pas entendre parler de lui. Et pourtant, même si cela peut faire bondir, il faut pour certains de  nos compatriotes savoir faire la part des choses. Il n’est pas question d’assurer l’impunité à qui que ce soit. Mais d’être capable de discernement. L’exemple, n’est peut-être pas forcément heureux, mais les américains ont su préserver certains cerveaux du régime Nazi, qui ont contribué à l’essor technologique des Etats-Unis. Est-il possible qu’en des moments cruciaux de notre pays, nous puissions faire montre d’un tel dépassement à propos de certains de nos compatriotes? N’est-ce pas d’une certaine façon, ce que Mandela a fait en Afrique du Sud ?

Dans la recherche de la vérité et de la Justice, n’est-il pas possible de passer un compromis avec ces personnes ? En  quoi Gilbert Diéndéré peut être utile à la sécurité et à la stabilité de notre pays, en raison de l’expérience qu’il a accumulé sous le régime défunt ?  

Au risque d’essuyer la colère bien légitime, de certains frères, nous pouvons dire que des ressources humaines comme Gilbert ne s’inventent pas du jour au lendemain. Quand on les a il faut savoir les valoriser. Si on se prive de Gilbert Diéndéré, ce sont les français et les américains qui vont se l’arracher. Or sur certaines conditions, il pourrait, comme on l’a vu à l’occasion du procès de David Ouédraogo en août 1999 aider à faire la lumière dans certains dossiers pendants de la IVe République. Enfin, nous restons convaincu qu’il peut-être d’une contribution certaine à la reforme de l’armée qu’il faut engager sans plus tarder. Il peut permettre à notre pays de conserver son leadership dans les questions sécuritaires sous régionale où il y a sûrement des dividendes à tirer. C’est un sujet qui ne manquera pas de provoquer la polémique. Mais il fallait quand même oser le poser.  

NAB

 

 



16/12/2014
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