Sans Détour

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Chronique du lundi 4 mai

Sous  nos latitudes la morale est plus sévère contre le voleur de mouton, que le voleur de milliards

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C’est la première controverse que j’ai eu dans ma carrière de journaliste. Avec la création de l’Evénement en 2001, nous avons été le premier journal à oser en parler et aussi les premiers à nommer le conflit pour ce qu’il était. A l’époque des amis et des camarades n’avaient pas hésité à m’en faire le reproche du type : « Newton on ne te comprend pas. Un grand journaliste comme toi devrait éviter ce sujet, surtout qu’il s’agit de ta communauté d’origine… ».

Le conflit ethnique, surtout celui que subit la communauté peulh au Burkina, met mal à l’aise, tout le monde. L’élite intellectuelle et politique et l’administration dans son ensemble. Elle, surtout qui par ses attitudes contribue largement à la stigmatisation, de cette communauté : « quand un CB, un commissaire ou un préfet, a un besoin urgent d’argent, il fait arrêter un peulh, l’enferme, l’accuse de vol lui soustrait autant d’argent qu’il veut et le libère après des semaines de détention arbitraire ». Bien sûr qu’il y a des exceptions. C’est le même CB, le même commissaire et le même préfet qui va entretenir cette réputation faite aux peulhs, parce que c’est une situation de rente.

Mais on doit se réjouir d’une évolution timide, mais évolution quand même, que l’on constate dans la façon d’adresser ce drame. De façon générale, les élites n’ont pas évolué, mais les réflexions anathémisantes tendent à s’estomper. Du moins dans leur caractère grossièrement xénophobe. J’ai lu les réseaux sociaux depuis, le conflit de Ziniaré/Ziga et j’ai pas rencontré de réflexions ouvertement blessantes. Bien sûr, il subsiste des allusions désobligeantes. Mais il y a une évolution.  

Cependant, on ne peut que déplorer la gêne des élites intellectuelles et politiques sur cette question. A notre connaissance, seul le président de l’AJIR, Adama Kanazoé, est pour l’instant le seul homme politique à s’être rendu sur place à Ziga. Les grandes formations politiques se bouchent le nez et les oreilles. La question peulh n’est pas électoralement pertinente.

Mais elle pose quand même du point de vue des droits humains, un vrai problème de conscience. Parce que les questions des droits humains ne se traitent pas à des échelles mais par leur nature pour laquelle on doit avoir la tolérance « zéro ».  L’attitude inqualifiable des zoulous d’Afrique Sud à l’égard des immigrés noirs nous révulse, à juste titre. Eh bien ces expulsions et ces punitions collectives que subissent les peulhs du Burkina doivent tout autant nous révulser.

De quand remonte cette situation ?

Il y a toujours dans les communautés humaines des relents et cela depuis la nuit des temps. Mais dans notre cas, quatre faits majeurs ont contribué à dégrader la situation.

Primo, Une politique volontairement construite sur des fiefs communautaires et même ethniques, avec la démocratisation et la décentralisation. Particulièrement la décentralisation qui a réhabilité la primauté de l’ « autochtone ». Il ne suffit pas de naitre, de vivre et d’avoir des intérêts dans une commune pour avoir le droit d’y être maire. Il faut être des familles fondatrices et princières de la commune. A Ouaga on n’imagine pas un maire qui ne soit pas mossi et particulièrement de Bilbalgo. A Bobo, il faut être Sanou, pur sucre et de Dioulassoba. Dans les 300 et quelques communes restantes, on a dupliqué ce qui se fait dans les deux grandes villes du pays. La démocratie et la décentralisation ont consacré la xénophobie et dans ce cas, ce sont les groupes ethniques vulnérables qui trinquent les premiers.  

Secundo, une politique de la IVe république qui a fait du fait « autochtone » et « ethnique » un instrument de gouvernance. En 1998, suite aux événements de Sapouy, pour endiguer le mécontentement populaire, le gouvernement de Blaise avec des têtes de proue comme Djibril Bassolet, (alors ministre de la Sécurité) Hermann Yaméogo (parrain du gouvernement protocolaire) ont instillé la primauté de l’autochtonie, contre des fonctionnaires et des leaders du MBDHP présentés comme « des étrangers qui voulaient gâter la localité et qu’on devait chasser ». De Koudougou à Fada des milliers de Burkinabé, parfois des élèves, en classe d’examen, ont été expulsés. De cette période date le droit acquis des « autochtones » d’expulser « ceux qui gâtent leur localité ».

Tertio, il y a la question foncière, mal gérée, alors que la RAF de 1984, sous Sankara, créait une justice sociale sur la terre, qui est le moyen de production de 80% de Burkinabè, agriculteurs, comme éleveurs, la loi foncière de 2009 rétablie la primauté du « fait autochtone »

Enfin l’impunité. Quand à ailleurs, la même chose s’est produite et personne n’a été punie, qu’est-ce qui peut dissuader la duplication en chaine.

Mais enfin, finissons par le caractère cocasse, du dicton qui aurait mis le feu aux poudres à Ziga Ziniaré. Que les gens de cette localité s’offusquent qu’on dise que les voleurs ; il y en a dans toutes les ethnies à quelque chose de cocasse, n’est-ce pas ? Eux qui ont eu pour champions Blaise et François, dont l’autre nom de règne s’appelle « vol et prévarication des biens publics ».

C’est vrai que sous nos latitudes la morale est plus sévère contre le voleur de mouton que le voleur de milliards. 



03/05/2015
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